Témoignage de Leonor Tamayo Colomina,
coordinatrice de la campagne contre l’Éducation pour la citoyenneté"
Première partie
Leonor Tamayo, objectrice, mère de famille nombreuse, fut la coordinatrice de la campagne contre l’Education pour la Citoyenneté (EpC), menée par l’association Profesionales por laÉtica, les réseaux locaux et les plateformes de parents. Elle a donc vécu en première ligne le combat des parents objecteurs en Espagne.
Le gouvernement de José Luis Zapatero avait créé un ensemble de matières réunies sous le nom de Educación por la ciudadanía, à l’école primaire et dans le secondaire. Obligatoire et notée, cette nouvelle discipline était entre autres choses axée sur « l’éducation émotionnelle et affective » des enfants et cherchait à propager l’idéologie du « genre ». En vertu d’une loi organique de l’éducation (LOE), l’EpC devait être appliquée dans l’enseignement public et dans les écoles privées.
Les parents espagnols se sont alors levés.
Voici le premier volet d’un entretien que nous a accordé Leonor Tamayo. Le deuxième volet portera sur les difficultés rencontrées et le troisième sur les résultats obtenus. Ceux qui lisent la langue espagnole pourront tirer profit des liens proposés.
A travers cet entretien, nous souhaitons offrir aux parents français un témoignage d’objection au nom de la justice, en l’occurrence au nom du respect de la responsabilité naturelle des parents en matière d’éducation des enfants. Il faut s’en inspirer.
Comment votre résistance est-elle née, comment s’est-elle maintenue dans le temps et pendant combien de temps ? Qui vous a soutenu ?
Notre combat contre les enseignements idéologiques de l’ Education pour la Citoyenneté (EpC), que Zapatero a imposé avec sa réforme des programmes scolaires, a commencé il y a déjà sept ans. Dès le début, nous avons clairement vu que la meilleure arme dont nous disposions pour défendre le droit des parents à éduquer leurs enfants était l’objection de conscience, et que les parents eux-mêmes devaient être les acteurs de ce mouvement. Le rôle des grandes associations nationales, des partis politiques ou de l’Eglise devait être de les soutenir mais en aucune façon de se substituer à eux dans leur responsabilité de premiers éducateurs.
La première étape de l’engagement fut l’édition d’un Guide pour parents, sous forme de questions réponses, permettant de percevoir la gravité du danger, la nécessité de se soulever contre celui-ci, la façon de le faire, tout en incluant quelques notions juridiques élémentaires.
Nous nous sommes mis en relation avec toutes les associations nationales parentales, familiales et de la liberté de conscience, en leur demandant de soutenir l’initiative et de collaborer à la diffusion de ce guide. Le soutien a été unanime et il englobait les principales associations familiales, les associations officielles de parents des écoles catholiques (qui en Espagne ont un poids très important dans le système éducatif), la direction des centres de l’enseignement privé (le CECE). L’unique et douloureuse exception fut celle de la puissante Fédération des Religieux de l’Enseignement (FERE), c’est-à-dire la direction des écoles catholiques qui a décidé de pactiser pour son compte avec le gouvernement socialiste, ce qui supposa une fracture importante dans notre mouvement. La position de la hiérarchie catholique a été de refuser l’EpC et de soutenir les parents objecteurs. On peut imaginer aisément les tensions que les parents objecteurs ont eu à gérer dans les écoles catholiques, qui par l’intermédiaire de la FERE avaient pactisé avec le gouvernement socialiste.
Notre résistance a commencé par la conférence de presse de présentation du Guide pour parents. Nous avons toujours compris que la présence continue dans les moyens de communication était décisive. Mais nous n’avions pas envisagé le parcours et la répercussion de la bataille que nous commencions.
Nous étions loin d’imaginer que notre résistance et notre projet deviendraient un mouvement social sans précédent en Espagne et probablement en Europe, même si nous le désirions et étions prêts à tout donner. En effet, nous ne nous attendions pas à l’énergie, au courage et à la fermeté des parents qui voient la liberté, leurs droits fondamentaux et surtout la formation et l’avenir de leurs enfants menacés. Voilà la clé du succès.
Après la conférence de presse de présentation du guide et une campagne de diffusion à un échelon simple et élémentaire (distribution gratuite aux parents), des demandes d’expédition commencèrent à arriver. Quelquefois des parents demandaient un ou plusieurs exemplaires pour les distribuer à des amis. D’autres fois une paroisse nous en demandait 150, un collège 500. Beaucoup de grands-parents écrivaient ou téléphonaient en en demandant pour leurs enfants et petits-enfants. La clé a été le tirage massif sur papier. Nous ne devions pas tomber dans la facilité et dans la gratuité d’internet parce que, nous les mamans avions besoin d’emporter un exemplaire du Guide dans notre sac à main, de l’avoir sur la table du salon, de le feuilleter, de le prêter à nos amies, de le consulter si nécessaire, et c’était encore plus vrai il y a 7 ans. Pour être diffusé, il devait être gratuit et expédié rapidement et facilement. Et ainsi, expédié depuis chez nous, aidée par les enfants pour faire les paquets ou préparer les enveloppes, nous avons envoyé plus de 125 000 exemplaires du Guide. Se sont rajoutés ensuite beaucoup d’autres supports et outils nouveaux, adaptés aux nécessités de chaque moment et à l’évolution de la campagne. Nous n’avions pas d’infrastructure sophistiquée, la diffusion a toujours fonctionné de manière efficace, simple et ce qui est le plus important, gratuite grâce à une équipe très engagée qui s’étoffait progressivement.
S’ajoutait à cela, une écoute attentive et personnalisée par courrier électronique ou par téléphone, à l’égard de chaque père, de chaque mère, de chaque professeur, etc.
A l’envoi des guides et à l’attention personnelle aux parents qui demandaient plus d’informations, s’ajoutèrent encore des réunions et des conférences dans toute l’Espagne. Une équipe bien formée par des membres de Professionnels pour l’Ethique et par d’autres associations répondait à chaque demande de discussion, immédiatement et avec enthousiasme. Les membres de cette équipe prenaient sur leur temps de sommeil, sur leurs jours de vacances, de travail ou de repos. Ainsi des milliers de kilomètres furent parcourus, pour donner près de deux milles conférences, accompagnées très souvent de longs moments de conversation et aussi de séjours dans les familles ou avec les organisateurs des conférences. Ces efforts ont porté des fruits inespérés, surprenants, que nous n’avions jamais imaginés. Internet a aussi joué un rôle fondamental dans l’organisation et le développement de la campagne mais nous avons bien constaté que rien ne peut remplacer la rencontre personnelle et la convivialité.
Cette attention soignée et personnalisée a engendré l’engagement et le regroupement de personnes qui comprirent qu’il ne s’agissait pas seulement de leurs enfants, mais de la liberté de tous et que ceci supposait un engagement qui allait bien au-delà de leur propre famille. Ainsi naquit le mouvement objecteur.
Il fallait donner forme à cette inquiétude et la réponse est venue d’un petit village de Cordoue, où un groupe de familles a organisé la première plateforme de parents objecteurs. Peu de temps après, la même chose se reproduisait en Navarre. Nous avons compris que des plateformes de parents, autonomes et indépendantes, le plus proche possible des combattants (les parents) était la formule appropriée, facilitant les réponses directes et adaptées à chaque situation concrète.
Les plateformes se sont multipliées dans toute l’Espagne de manière plus ou moins formelle. Quant à nous, nous nous sommes attachés à leur donner l’orientation nécessaire, un appui juridique professionnel, des moyens de diffusion, des études et des comptes rendus chaque fois plus spécialisés, des cours de formation et surtout une coordination et de la chaleur humaine. Les membres de ces plateformes se sentaient ainsi soutenues et unis pour défendre la responsabilité la plus sacrée des parents: l’éducation des enfants.
Pour cela, nous avons créé un « googlegroup » dont je devais assurer la coordination et l’animation. Là, les parents partageaient des expériences, des difficultés, ou envisageaient de nouvelles initiatives concertées, tant locales, régionales que nationales. Deux rencontres nationales de parents et de nombreuses rencontres régionales ont été organisées. Au fil du temps et des batailles menées, un véritable esprit de combat a surgi, ainsi qu’un fort esprit de corps entre tous les parents d’Espagne.
Ainsi nous sommes parvenus à ce que des mères et des pères organisent en commun des conférences de presse, donnent des conférences, accompagnent des parents aux rendez-vous dans les collèges ou avec l’Inspection éducative, parlent à la radio et à la télévision, présentent des demandes judiciaires et arrivent au Tribunal Suprême, au Tribunal Constitutionnel et en dernière instance à Strasbourg, où une demande de 400 parents espagnols est encore en cours de résolution à la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
La réalité, les nécessités, les revers et les victoires nous ont gardé unis créant des liens forts et une sécurité qui nous permettait de ne pas douter, d’aller toujours de l’avant. Ainsi, nous avons pu maintenir la résistance pendant sept ans, malgré l’abandon de nombreuses associations, les pressions du gouvernement et des administrations scolaires régionales, les bâtons dans les roues du Tribunal Suprême qui nous a interdit le droit à l’objection de conscience au même moment où nous avions la victoire à portée de main, parce que le gouvernement était sur le point de céder. Et tout ceci malgré les attaques internes et les divisions qu’il y a toujours inévitablement parce que l’ennemi sait que la division interne est la clé de sa réussite.
Ce furent sept années d’aventure passionnante, où le facteur humain, le courage et la volonté de ne jamais céder, de ne jamais faire un pas en arrière ont donné la victoire aux parents. Il s’agit d’une étape significative dans l’avancée de la liberté d’Éducation en Espagne.
Deuxième partie
Quelles difficultés avez-vous rencontrées et comment les avez-vous surmontées ?
Il fallait d’abord faire comprendre aux parents l’amplitude du problème. Ce qui était en jeu n’était ni personnel, ni isolé, mais concernait la liberté de tous, le droit des parents à choisir la formation morale de leurs enfants. L’Etat prétendait imposer une « morale », indépendamment de l’école ou du professeur.
Nous devions expliquer ensuite que le meilleur moyen de défendre les droits des parents était l’objection de conscience à l’EpC (Éducation pour la Citoyenneté) qui comprenait des enseignements idéologiques. L’objection supposait que l’élève n’assiste pas au cours.
C’est alors que commencèrent les difficultés.
Pour les parents, c’était très clair. Ils étaient prêts. En revanche, les écoles et les administrations s’y opposèrent, à quelques exceptions près. Il y eut des pressions, y compris physiques, pour que les enfants assistent à ces cours, des menaces, des mensonges, etc.
Cependant, nous pouvons dire avec fierté que l’immense majorité des parents resta ferme face aux directeurs d’école, à l’administration et à l’inspection de l’ Éducation. Il y eut aussi des écoles qui firent « objection » en masse : 100 % des parents et des professeurs refusèrent de recevoir ou d’assurer les cours d’EpC. Il y eut des lieux où les cas d’objection se comptèrent par dizaines et par centaines. Des groupes de parents firent circuler l’information dans les écoles et les paroisses et on compta jusqu’à 50 000 cas d’objection de conscience face à l’EpC.
Et le gouvernement fut sur le point de renoncer.
C’est alors que la Cour suprême rendit une décision : il ne reconnaissait pas le droit des parents à objecter l’EpC. Après quelques jours de confusion, de désorientation et de doutes, ce sont les parents eux-mêmes qui une fois de plus nous indiquèrent la voie : la liberté de conscience était au-dessus du tribunal. Personne ne pouvait nous dire ce qu’en conscience je devais faire. Nous avons poursuivi notre action, les enfants sortant de cours, avec les répercussions académiques que cela supposait.
Avec cela, nous avons connu la première dispute au sein du mouvement qui se divisa douloureusement en deux :
- ceux qui acceptaient la décision de la Cour suprême (ils retournaient en classe et abandonnaient la lutte), conduits et poussés par certaines associations nationales qui avaient lancés le mouvement avec nous,
- et ceux qui décidèrent de mener le combat jusqu’au bout.
Les pressions augmentèrent alors, le gouvernement se sentant plus fort que jamais. Les écoles et les médias nous ignoraient, se moquant de nous et des parents. Nous avons cependant continué.
On compta encore 5000 nouveaux cas d’objection et près de 1000 actions judiciaires furent intentées après la décision de la Cour suprême. Il y eut aussi, dans les régions, des décisions de justice favorables aux parents (surtout en Castilla y Leon).
Ces actions judiciaires étaient initiées par les parents, et lorsque la décision leur était favorable, l’État faisait appel contre la sentence (devant la Cour Suprême). Les juristes (avocats etc.) étaient tous bénévoles.
Le coût d’une procédure n’a jamais dépassé 50 euros par famille, car un fond commun avait été créé dans chaque plateforme de parents pour subvenir aux frais de procédure. Lorsque les fonds de la plateforme locale ne suffisaient pas, la structure centrale prenait en charge ces frais, en application du principe de subsidiarité.
Il y avait plus d’unité et de force que jamais dans ce qui restait du mouvement objecteur. Nous avons continué à étudier et à informer sur les conséquences de l’objection dans le cadre de la nouvelle situation. Ainsi, nous avons progressé sans jamais reculer, conformément à l’objectif que nous nous étions fixé. Les épreuves fortifient.
Et ainsi, comme nous l’avions promis aux parents, les combats juridiques nous menèrentjusqu’à Strasbourg. Un groupe de 40 parents et élèves représentant 300 personnes fit le voyage à Strasbourg pour déposer une plainte devant la Cour européenne des droits de l’homme (affaire Ramos Bejarano et Autres c. Espagne, n° 15976/10) .
La couverture médiatique fut assurée par tous les journaux nationaux. Ce fut trop pour l’ennemi. Il y eut alors une nouvelle division, plus douloureuse encore au sein du mouvement, liée à des problèmes et des malentendus internes.
Le combat se poursuivit pourtant. Nous avons continué pratiquement seuls (profesionalespor la Etica), avec une poignée de parents, le recours international initié dénonçant l’idéologie de l’EpC en Europe et à l’ONU pendant quasiment deux ans, sans délaisser le combat national, la présence dans les médias, la pression politique et la mobilisation sociale.
Sans aucun doute, la division interne a été la plus dure et la pire des défaites. C’est ce qui nous a véritablement affaiblis et quasiment mis hors de combat. L’ennemi le sait et attaque toujours ainsi. Mais il ne faut jamais se rendre. Il y a des hauts et des bas et il faut savoir profiter de toutes les occasions pour avancer.
Ne pas se rendre, et s’appuyer toujours les uns sur les autres sans jamais laisser quelqu’un seul, sans perdre l’espérance, la vérité triomphe toujours.