Le gender, une norme mondiale ? Outil de discernement »
Nouveau livre de Marguerite Peeters (Ce livre peut être emprunté, voir rubrique "Bibliothèque")
BRUXELLES, 6 avril
2013 (Zenit.org) - Marguerite Peeters, directrice de
« Dialogue
Dynamics », publie un nouveau livre intitulé « Le gender,
une norme mondiale ? Outil de discernement » (Mame, 2013) : elle
en donne la primeur aux lecteurs de Zenit.
Zenit – Votre livre
« Le gender, une norme mondiale ? Outil de
discernement », préfacé par le cardinal Robert Sarah, vient de paraître.
Quel est votre objectif?
Marguerite Peeters – Bien que beaucoup de discours se
soient faits sur le gender depuis que le phénomène frappe visiblement la
France, d’abord en s’intégrant dans les manuels scolaires puis en devenant
projet de loi, ils semblent jusqu’à maintenant s’être montrés impuissants à
dégager une perspective d’espérance. Beaucoup se sentent dans l’impasse :
où aller, maintenant que nous avons intellectuellement « démasqué »
et dénoncé le gender, qu’un grand mouvement de mobilisation contre le
projet de loi s’est organisé ? Le blocage n’est pas uniquement provoqué de
l’extérieur, par la surdité et le durcissement du gouvernement. Il provient
aussi de l’intérieur de la communauté chrétienne lorsqu’elle ne discerne
pas les signes des temps selon la perspective d’espérance qui est la sienne. Le
combat dans lequel nous sommes (non seulement, du reste, au niveau français,
mais au niveau mondial) est surtout une heure de grâce : nous sommes
appelés à tirer profit de la conscience croissante d’une crise de civilisation,
dont le gender est un signe éloquent, pour nous engager dans un
renouvellement personnel et culturel et nous dégager des compromissions du
passé, que le gender met paradoxalement en lumière. Nos compromis ont en
effet contribué à son émergence. Modeste fruit d’un long travail de suivi des
politiques de la gouvernance mondiale depuis la conférence de Pékin, mon livre
a été conçu comme un outil de formation et de discernement à destination des
éducateurs, cadres, responsables politiques et religieux pour appréhender cette
problématique de manière pédagogique, favorable au discernement.
De quel
« discernement » s’agit-il ?
L’objectif du discernement n’est pas
de fournir des « arguments » à des débats intellectuels voués à
s’embourber dans les marécages d’une « théorie »
« liquide », rationnellement insaisissable. Le vrai discernement est
pratique. Il conduit à l’engagement de la personne et des communautés dans
l’espérance, à une prise de décision courageuse : celle de revenir à la
personne humaine concrète, telle qu’elle est dans son mystère transcendant,
faite par amour et pour l’amour. Dieu nous donne un pape qui a appris de Saint
Ignace les règles du discernement des esprits et qui réintroduit cette notion
pratique dans l’enseignement de l’Eglise. Dans le cas de la problématique du gender,
il s’agit de discerner les fautes que nous-mêmes comme peuple avons faites
depuis le 18ème siècle dans la manière dont nous avons interprété des notions
telles que laïcité, citoyenneté, égalité, liberté, fraternité, individu, droits
de l’homme et du citoyen, influençant massivement le cours du développement de
la civilisation occidentale. Et ne sommes-nous pas nous aussi, chrétiens, tombé
dans le travers d’une mentalité contractuelle, individualiste, rationaliste,
laïciste ? N’avons-nous pas trop souvent renoncé à être nous-mêmes ?
Discernons les mauvaises habitudes culturelles qui de fil en aiguille à travers
les siècles nous ont conduits à aujourd’hui considérer le « mariage pour
tous » et l’adoption par les couples homosexuels comme une affaire de
liberté, d’égalité, de droits, de citoyenneté. En un sens, l’apparition du gender
et son imposition sont un développement tout à fait logique, c’est-à-dire
obéissant à la logique d’un mal remontant à plusieurs siècles.
Qu’entendez-vous
par : « logique d’un mal remontant à plusieurs siècles » ?
Le mal fondamental de la civilisation
occidentale depuis des siècles est son rejet du Père : rejet d’abord de
Dieu comme Père (déisme), puis de la paternité humaine (freudisme, « mort
du père » proclamée dans les années 60), le premier ayant mené au second.
Jean-Jacques Rousseau qui a influencé la rédaction de la Déclaration des Droits
de 1789 a déclaré que la paternité était un privilège social contraire à
l’égalité : d’où un antagonisme remontant au 18èmesiècle entre paternité
(ordre et amour paternels) et droits, égalité, citoyenneté, liberté, fraternité.
Depuis le 18èmesiècle une conception subversive de l’égalité citoyenne aliène
la France et l’Occident. La fraternité, ayant cessé d’être filiale à partir du
moment où l’on a rejeté le père, est devenue purement
« citoyenne » ; il ne faut pas s’étonner que le marxisme ait
surgi peu après. Or une fraternité exclusivement « laïque » n’a pas
de sens : tout le monde sait que l’Etat n’est pas un père aimant. La
liberté s’est repliée sur elle-même et sur l’arbitraire de choix individuels
effectués en dehors du dessein de Dieu. La personne a été réduite à un
individu, le citoyen-personne à un citoyen-individu. Pendant deux siècles la
civilisation occidentale s’est accrochée à la « nature » dont elle a
cherché à découvrir les lois dans le but d’accroître, par orgueil, ses
connaissances et son pouvoir. Maintenant qu’elle ne croit plus à la « loi
naturelle » à force de s’appuyer sur la seule raison humaine, il ne
reste plus rien. Le défi de notre temps est de revenir au Père, non seulement à
son ordre mais d’abord à son amour, source de tout ce qui existe et qui est
bon, et à sa miséricorde. Le Père est la source de tout ce qui peut être
déclaré universel. Quoi de plus humainement universel que la paternité ?
Il est significatif qu’aucun traité ou instrument de droits de l’homme ne
mentionne le père. Or les droits universels perdent leur sens dès lors qu’ils
se coupent de leur source. Ils s’auto-génèrent et produisent ainsi aujourd’hui
le droit au « mariage pour tous », dernier né d’une série de
« nouveaux » droits subversifs, nés d’une laïcité repliée sur
elle-même au point de vouloir désormais imposer à tous son laïcisme.
Pourquoi le gender
est-il un « signe des temps » dont il est possible de tirer
profit ?
Voilà remise sur le tapis la question
de la filiation (« tous nés d’un père et d’une mère ») : appel à
redécouvrir l’universalité de notre statut filial, notre fraternité filiale
universelle et notre filiation divine universelle. Qui dit fils, fille, père,
mère, dit « personne » et non « individu ». Et qui dit
« personne », dit « amour ». C’est le père, source de la
vie, qui aime le premier. C’est à l’amour que le gender s’attaque avant
tout, mais c’est de lui que ses promoteurs, sans le savoir, ont le plus soif.
Toute personne fait dans sa vie l’expérience existentielle de l’amour et
en découvre, consciemment ou non, la structure trine : l’amour donné par
celui qui aime à la personne aimée; l’amour reçu par la personne aimé ; et
l’amour communion entre ceux qui s’aiment. Le retour culturel à l’amour et à son
expérience humaine universelle devrait être l’objet de notre discours. Nous
sommes tous faits à l’image de Dieu Père, Fils et Saint-Esprit, que les
croyants ont la grâce d’avoir rencontré. La personne est un mystère, un mystère
révélé. Si notre discours en reste au niveau de la nature, il ne répondra pas à
l’attente de nos contemporains, rassasiés de théories abstraites se passant de
notre engagement personnel, permettant d’y échapper, et prolongeant les erreurs
du passé.
Zenit – Comment est
structuré votre livre ?
Marguerite Peeters - Le discernement passe par la
formation. Après une brève exposition des facteurs rendant le phénomène du gender
particulièrement complexe, le livre évoque le processus idéologique occidental
qui a préparé son émergence depuis plusieurs siècles et parcourt l’histoire du
développement du concept depuis les années 1950. Rappelons qu’en 1955 le
psychologue et sexologue américain John Money établit pour la première fois une
distinction entre « sexe » (identité sexuelle biologique) et « genre »
(identité sexuelle sociale qu’un individu s’attribue à lui-même par le
« dire » et le « faire »). Parmi les intellectuels,
sociologues et universitaires occidentaux, l’idée fait dès lors son chemin que
ces deux identités sont distinctes et peuvent s’opposer, l’identité sexuelle
sociale étant l’objet d’un choix arbitraire de l’individu, une « identité
sans essence » selon l’expression de David Halperin. Le livre montre aussi
que le gender fait partie d’un nouveau système éthique intégré, résultat
de la sécularisation et d’une série de révolutions interdépendantes dans les
domaines politique, anthropologique et culturel. Il en manifeste le caractère
mondialement normatif : depuis la conférence de Pékin de 1995, la
perspective du genre est une norme politique et culturelle mondiale effective.
L’égalité des sexes (gender equality) est même une priorité transversale
de la coopération internationale. Après une analyse critique du gender
en tant que processus de négation, le livre offre quelques considérations
pratiques et ouvre une perspective d’espérance : celle d’un retour
personnel et culturel à la structure trine de l’amour - donné, reçu et partagé
- et à l’ordre du Père.
Le titre de votre
livre pose la question : « Le gender, une norme mondiale ? ».
L’homosexualité serait-elle mondialement normative ?
Le gender a une double origine,
féministe et homosexuelle. L’on voit ces deux interprétations se développer
côte à côte dès les premières émergences du concept. Les deux interprétations
ont en commun une conception des données anthropologiques fondamentales
(complémentarité, féminité, masculinité, maternité, paternité, sponsalité,
« hétérosexualité »…) comme autant de stéréotypes discriminatoires à
déconstruire par l’éducation, la culture et les lois. L’interprétation
féministe, qui a percé la première en Occident et y a gain de cause depuis
plusieurs décennies, progresse à une vitesse foudroyante dans les pays en voie
de développement auxquels est imposée une conception laïciste de la femme comme
pure « citoyenne-individu » détentrice de « droits »
(contraception, avortement, éducation sexuelle laïque, « choix
informé », fécondation in vitro, stérilisation volontaire…). De la
déconstruction de la femme, on passe naturellement à la déconstruction de
l’identité sexuelle. Il faut être myope pour ne pas voir ce processus. Il est
particulièrement important pour certains pays en voie de développement de
réaliser que, s’ils sont encore scandalisés par les projets occidentaux de lois
favorables au mariage gay, ils sont déjà engagés dans un continuum de mort pour
autant qu’ils appliquent des politiques favorables à la déconstruction de la
maternité. Le gender, devenu condition de l’aide au développement, s’est
déjà répandu à tous les niveaux des sociétés des pays non-occidentaux qu’il va
entraîner dans le même processus révolutionnaire que l’Occident, allant d’une
interprétation à l’autre. Ainsi, sans faire de bruit, des cultures
traditionnellement ouvertes à la personne, à l’amour, à Dieu risquent de se
laïciser rapidement. « Sortons », comme nous y invite le pape, de nos
préoccupations nationales et ouvrons-nous aux souffrances que nos dérives
occidentales provoquent ailleurs.
Pensez-vous que
cette interprétation homosexuelle de la norme mondiale du gender puisse
se renforcer dans les années à venir?
Il est difficile de le dire, mais nous
observons que depuis le début des années 2000, la reconnaissance légale du
« mariage » entre personnes de même sexe gagne rapidement du
terrain : déjà effective dans 11 pays (Pays-Bas 2001, Belgique 2003, Espagne 2005, Canada 2005,
Afrique du Sud 2006, Norvège 2009, Suède 2009, Portugal 2010, Islande 2010, Argentine 2010 et Danemark 2012)
et dans plusieurs juridictions sous-nationales, elle est actuellement, dans 11
pays supplémentaires (Andorre, Colombie, Finlande, France, Allemagne,
Luxembourg, Népal, Nouvelle Zélande, Taiwan, Royaume-Uni et Uruguay) ainsi que
dans les législatures de juridictions sous-nationales de 4 pays, l’objet de
proposition de loi, d’un débat parlementaire ou déjà d’une adoption par l’une
des deux chambres législatives. La tendance totalitaire ou dictatoriale
« douce » qui se manifeste dans l’imposition de politiques et de lois
fabriquées par des lobbys doctrinaires à travers l’exécutif et/ou le judiciaire
est à surveiller : elle semble bien en voie de se renforcer. Le gender
n’est pas une mince affaire. La génération des moins de 25 ans (soit 43% de
l’humanité aujourd’hui, vivant majoritairement dans les pays pauvres) est tout
particulièrement soumise aux Diktats de la nouvelle culture mondiale « d’égalité
des sexes » - un processus de laïcisation qui conduit inexorablement à la
perte de la foi. Déjà depuis la conférence du Caire de 1994, l’ONU parle de
« la famille sous toutes ses formes ». L’identité de genre et
l’orientation sexuelle ont été débattues au Conseil des Droits de l’Homme
en 2012. Au niveau des instances de la coopération internationale, la
définition du mariage et de la famille est déjà déstabilisée dans ses
fondements. Nous sommes dans un combat de nature spirituelle et devons décider
sous quel étendard nous voulons combattre. Si la complexité et la technicité du
phénomène du gender sont rébarbatives et pourraient nous décourager, la réponse
à donner est surprenante de simplicité et lumineuse. Mais elle est aussi
difficile et exigeante, en ce sens qu’elle requiert une décision de nous
engager comme personnes.
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